Comte Gaston d’Illiers 1876 – 1932
Le XIXème siècle, proclamé à raison comme l’âge d’or de la sculpture animalière, a bénéficié dès ses premières années d’un contexte particulièrement favorable : les découvertes de grands naturalistes comme Buffon et Cuvier et la mode de l’exotisme rapportée dans les bagages de la campagne d’Égypte par Napoléon. Ses artistes et ses savants sont autant d’opportunités qui mettent en avant l’animal, soit associé à l’homme soit en toute liberté.
Parmi ces animaux, le cheval tient une place privilégiée. L’anglomanie qui a fait découvrir à la France les courses et le Pur-Sang et surtout l’engouement pour la vènerie, fournit de nombreux sujets à une infinité de statuettes que les bourgeois parisiens s’arrachent pour en décorer leurs cheminées et faire écho aux gravures anglaises accrochées à leurs murs.
Ce cheval à la Carle Vernet, c’est Antoine Louis Barye, sculpteur de génie qui s’en empare et en impose le modèle un peu dandy, un peu frivole. Il le teintera de romantisme et d’orientalisme, les deux tendances qui se partagent la mode de cette époque. Des suiveurs comme Pierre-Jules Mêne, Emmanuel Fremiet, Jules Moignez, Alfred Dubucand ou encore Pierre Lenordez produisent à leur tour des sculptures de chevaux en action. Ce qui caractérise leur facture, au delà du respect scrupuleux des détails, c’est la volonté de transposer le plus fidèlement possible dans le bronze la réalité de la forme. Le modèle type en est presque toujours la même bête de luxe, aux oreilles dressées, au poitrail avantageux, aux jointures fines et laissant flotter au vent une crinière luxuriante.
Le succès est total. Pourtant, certains cavaliers et veneurs n’y trouvent pas leur compte. Paradoxalement, quand au tournant du siècle le cheval tend à s’effacer devant la machine, les hommes vouent un surcroît d’intérêt et d’amour pour leur compagnon quadrupède et se montrent particulièrement exigeants quant à la représentation que les artistes en font. Ainsi, cavaliers et veneurs ne peuvent se satisfaire des peintures et sculptures équestres qu’on leur impose depuis plus de trente ans. Ce cheval convenu à la Vernet ou à la Barye n’est pas celui qu’ils montent et avec qui ils chassent quotidiennement. Eux savent que le noble animal n’est pas que carrosserie, qu’il est un être vivant fait de tempérament et de caractère. Rejetant toute attitude figée, ils veulent accorder à son image le droit d’improviser, de s’irriter d’une mouche, de faire un écart, de ruer, de tirer au renard, de se vautrer dans la paille de son box, bref, de sentir le crottin. Désespérant de voir cette approche prise en compte par l’art officiel, certains de ces hommes de chevaux vont s’improviser artistes pour répondre à leurs propres exigences. Ainsi, à l’occasion de salons animaliers se côtoient des sculpteurs aristocrates ou grands bourgeois qui consacreront le meilleur de leur talent et de leur énergie aux deux causes que leur position sociale considère comme essentielles : le cheval et l’art. Nous retiendrons quelques noms : le comte Geoffroy de Ruillé, Louis de Monard, le comte Arthur du Passage, le baron Joseph de Curzay, Gaston d’Illiers, Georges Malissard, André Guiet, Jacques Bordeaux-Montrieux, Emile Pinchon... tous cavaliers et veneurs.Il n’est pas excessif de dire qu’avant le XIXème siècle, l’art français considérait le cheval uniquement comme un engin de transport, une machine à porter ou un animal propre à semer la terreur sur les champs de bataille. Jusqu’à la Révolution, le modèle sculpté du cheval présente invariablement le même type uniforme, hérité de l’Antiquité et de la Renaissance, tenant du bidet flamand et du trait breton : sa tête est haute et encapuchonnée, sa crinière est abondante et frisée, son antérieur est relevé à l’excès et sa queue touffue s’agite dans une excitation de commande. Bref la bête, signe de richesse et de force, ne semble exister qu’en fonction de son cavalier dont elle est le faire-valoir.
Au-delà des styles et des factures qui variaient selon la vision de chacun, un point commun réunissait tous ces artistes : le sujet qui ne s’écartait que rarement du cheval, des chiens et de la vènerie. Pour nos sculpteurs-cavaliers, cette approche artistique ne se faisait, ni par la fréquentation de quelque école des Beaux-Arts, ni en se mêlant aux rapins qui se regroupaient en ce début de siècle à Montmartre ou à Montparnasse. Elle se faisait sur le terrain par un compagnonnage avec un maître. Celui-ci, les premiers rudiments enseignés, passait ses journées avec son élève à l’occasion d’interminables laisser-courre en forêt qui permettaient de surprendre, sur le vif, attitudes et expressions des chiens ou des chevaux que l’élève, la chasse terminée, allait faire revivre en modelant la terre dans le calme de son atelier.
Ces artistes ne prétendaient pas bouleverser la représentation de la sculpture animalière, n’échafaudaient aucune théorie, mais cherchaient à restituer tout simplement des attitudes et des sensations ; ils voulaient capter le mouvement et la vitesse, faire ressentir le vent, le froid ou la fatigue. Ils voulaient exprimer et donner une réa- lité concrète à des termes équestres dont notre vocabulaire courant a bien du mal à trouver une définition, tels que : équilibre, légèreté, impulsion, engagement ou rétivité. Tous ces subtils sentiments qui font le quotidien du cavalier confirmé et que nos artistes connaissaient si bien. Finalement, ils voulaient tout simplement exprimer la vie. Leurs chevaux sculptés ne sont pas comme ceux de leurs illustres prédécesseurs, de magnifiques animaux imaginés et idéalisés, mais, au contraire, des « canassons » bien réels, croisés en forêt, dans un pré ou dans un coin de paddock. Et peu importe si l’animal ne possède pas les canons du cheval parfait, l’essentiel est qu’il ait une attitude de cheval. Nos sculpteurs donneront toujours la priorité à l’expression sur l’apparence, et à la posture sur l’aspect extérieur. Quand les artistes académiques sculptent « exact », eux sculptent « vrai ».Sans le chercher vraiment, presque malgré eux, ces artistes seront reconnus et célébrés de leur vivant. Leurs talents seront appréciés de leurs contemporains et leurs œuvres enrichiront les plus grands musées à travers le monde. Des commandes d’Etat assoiront leur renommée. Certains même connaîtront la gloire et les honneurs.
Pourtant aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont oubliés du grand public. Seuls quelques amateurs connaissent encore l’œuvre de ces artistes importants dont la modestie, la discrétion et l’indépendance n’ont pas servi la gloire posthume, le temps ingrat s’acharnant à faire oublier jusqu’à leur souvenir.
Mais les cavaliers ne s’y trompent pas, ils reconnaissent en ces artistes les meilleurs sculpteurs qui ont su faire revivre la vènerie par ce qui en fait l’essentiel, c’est-à-dire : l’énergie et le mouvement.
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