Le chasseur français – ven. 13 septembre
Novembre 1976 ! Le présentateur du journal télévisé de TF1 nous informe qu’un loup sévit dans les Vosges : en quelques mois, plus de cent cinquante moutons, une douzaine de vaches ainsi que plusieurs chevaux ont été tués par ce fauve, et la peur s’est installée dans les villages avoisinant les tueries de cette bête.
À cette époque, nous chassons à courre avec un groupe d’amis passionnés de vénerie, à l’aide de remarquables anglo-français tricolores. Je téléphone au président Laflotte, qui accepte de faire chasser nos chiens. Le rassemblement pour cette équipée est fixé au 24 avril en Seine-et-Marne, chez Jean-Pierre Renaudat.
À l’heure prévue arrive Michel Mama-let avec ses chiens dans son fourgon.
Sont également présents une dizaine de convives, tous animés de la même passion pour participer à cette chasse qui restera célèbre. Sans oublier les dix-huit anglo-français tricolores, et plus particulièrement Vanité, Valençay et Voltigeur, ces talentueux rapprocheurs issus d’une même portée. Notre arrivée n’est vraiment pas discrète. Après les présentations au préfet, au colonel de la gendarmerie et aux différents représentants de la région, nous subissons la pression des journalistes. Quant aux nouvelles les plus récentes, elles ne sont pas bonnes. Le loup n’a rien tué depuis plusieurs jours ! Et s’il ne le fait pas cette nuit ou la nuit prochaine, notre expédition sera plus que compromise, car notre déplacement est prévu pour durer trois jours. Très tôt le lendemain matin, le réveil est brutal. On tambourine aux portes des chambres, j’entends des pas rapides dans le couloir, un bruit incessant de véhicules qui se déplacent au-dehors… Vite, je m’habille et je descends aux nouvelles. Cette nuit, le loup a égorgé une vache, non loin d’Épinal, à Girecourt-sur- Durbion. Le pré de cette ferme est particulièrement isolé, attenant à un bois d’une centaine d’hectares. On nous informe que les gendarmes sont en train de fermer les routes dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres. Après avoir consulté les cartes prêtées par la gendarmerie, Michel Mamalet demande aux membres de notre équipe de se positionner à différents postes autour de cette forêt. Moi, je décide de rester avec Michel, trop curieux de voir la suite des événements.
Les gendarmes nous conduisent à la ferme. Arrivés sur place, nous découvrons un spectacle difficile à oublier. Tout d’abord, un couple de vieux paysans, très abattus ; ensuite, l’endroit du massacre. L’herbe, labourée par les sabots du ruminant, décrit la violence de la lutte. Le ventre de l’animal est ouvert, en partie dévoré.
Michel fait sortir de son camion ses chiens, Vanité, Voltigeur et Valençay… Quelque dix minutes plus tard, il les mène dans le champ où se trouve le cadavre de la vache. Michel laisse vaquer ses chiens qui vont tous trois flairer la carcasse du bovin, puis qui s’en écartent, pas du tout intéressés.
Il me revient alors en mémoire que tous les chiens sont terrorisés lorsqu’ils sentent l’odeur d’un loup. À ce moment, Michel décide d’intervenir. Il tape plusieurs fois dans ses mains, tout en criant : « Au coûte, mes beaux, au coûte ! » Immédiatement, les rapprocheurs montrent des signes d’énervement. Au bout de plusieurs tentatives de Michel arrive l’instant magique.
Vanité, après avoir senti une branche, laisse éclater un premier récrie. Aussitôt, Voltigeur se récrie lui aussi. Michel paraît bouleversé.
Maintenant, c’est au tour de Valençay… Ces chiens sont fabuleux ! Les trois chiens, qui rapprochent désormais à pleine gorge, sortent du champ pour rentrer dans la forêt, suivis par Michel. La voie semble brûlante !
Médusé, je distingue le loup qui débuche en plaine
Tout au long de la route, gardes et chasseurs sont postés à vingt mètres les uns des autres. Une fois sorti de mon véhicule, j’entends les rapprocheurs qui aboient à pleine gueule. Brutalement, c’est le lancer ! La voix de nos trois chiens cogne violemment dans la forêt. Immédiatement, la meute qui patientait dans le camion est découplée et vient rallier ventre à terre en hurlant les rapprocheurs.
La forêt résonne d’une magnifique menée, c’est une attaque formidable, bien au-delà de toutes nos espérances. Médusé, je distingue le loup qui débuche en plaine au petit trot, à moins de deux cents mètres de moi. Cette bête est énorme, proche de soixante à soixante-dix kilos. D’un trot tranquille, il se dirige droit en direction de la ligne des fusils postés. Le loup est limite de portée, mais, connaissant l’importance de sa capture, je me contrains de ne pas tirer. Brusquement, un coup de carabine éclate dans mon dos et me fait bondir. Cette balle-là, elle n’est pas passée loin. Furieux, je me retourne pour engueuler l’abruti qui vient de tirer.
Je découvre un chasseur qui se trouve à plus de cent mètres derrière moi. Sa balle, bien évidemment, n’atteint pas le loup, mais elle modifie complètement son comportement. Électrisé par la détonation, l’animal effectue un demi-tour en une fraction de seconde, pour s’en retourner au grand galop dans la forêt. Je sonne la vue pendant que débuchent les chiens rameutés qui empaument la voie en plaine. Puis les chiens bien groupés pénètrent à un train d’enfer dans le bois. Moi, je cours à ma voiture pour démarrer en trombe en direction de sa sortie supposée. Une fois arrivé, je m’arrête, coupe le contact, et j’écoute… Je perçois pendant plusieurs minutes une menée violente, puis… c’est le silence. J’entends Michel qui approche pour relever ce premier défaut.
Encore quelques instants de chasse, puis arrive un deuxième défaut que Vanité relève moins facilement. Beaucoup plus tard, Michel sort de la forêt à l’endroit où le loup, en se forlongeant dans un fossé, s’est sauvé. Bizarrement, il n’y a aucun tireur posté à cet endroit. Nous nous regardons, Michel et moi, d’une moue désabusée. Le loup a pris une trop grande avance et il est certainement déjà bien loin.
Effectivement, c’est ce que nous confirmeront les gendarmes plus tard, en nous rapportant les récits de plusieurs témoins ayant aperçu un chien énorme qui courait à un train d’enfer en direction de Destord, à cinq kilomètres de là. Après cette chasse mémorable, le loup fait plusieurs apparitions vers Ramber-villers, puis il disparaît définitivement.