Les hommes de vènerie consacrent leur vie à la passion qu’ils partagent avec des milliers de veneurs. Ils la vivent au quotidien. Leur métier est exigeant ; cependant, peu d’entre eux en changeraient. Ça s’appelle une vocation. Vènerie a souhaité leur donner la parole pour faire mieux connaître les ressorts et les exigences de leur activité. Les interviewés d’aujourd’hui chassent le chevreuil. Leurs parcours sont variés : l’arrière-grand-père de l’un était déjà piqueur, l’autre a découvert la chasse à courre dans sa jeunesse ; l’un chasse dans les forêts picardes, d’autres dans l’Ouest de la France. Ils nous disent d’une même voix le bonheur de leur métier.
Antoine Gallon : Comment avez-vous découvert la vènerie ?
Débuché – Rallye Chouan : Je suis issu d’une famille de chasseurs ; en revanche ni mes parents, ni mes grands-parents n’étaient veneurs, mais lorsque j’étais adolescent, je suivais à pied les chasses à courre au chevreuil du Rallye Chouan qui se déroulaient à côté de la maison. Avec l’accord du maître d’équipage, je suivais les chiens en débucher, faisant parfois des parcours de plus de 10 kilomètres en courant. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle mon maître d’équipage m’a donné « Débuché » comme nom de vènerie.
Laverdure – Rallye Oléronnais : Arrière-petit-fils de Louis Brousseau et petit-fils de Guy Brousseau, je ne peux pas vraiment dire que j’ai découvert la vènerie ; je suis né dans une famille de veneurs en pleine saison de chasse ; j’ai donc assisté à mon premier laisser-courre à l’âge de 5 jours, qui plus est dans l’équipage où je suis actuellement piqueur car mon père y était bouton.
Vol au Vent – Rallye Pic’Hardi Chantilly : J’ai découvert la vènerie dans mon enfance grâce à ma famille qui m’emmenait en forêt voir, durant les vacances, l’Équipage Vénerie du Berry. Puis un ami me fit découvrir la vènerie du lièvre avec le Rallye Plaisance où j’ai beaucoup appris sur les chiens.
La Feuille – Équipage Brissac : J’ai toujours connu la vènerie parce que mon père était second à l’Équipage Champchevrier et ma mère a chassé toute sa vie. Au fil des années, je n’ai pas pu m’en passer, fasciné par le travail des chiens. J’ai d’abord suivi mon père, puis des louvetiers, avant de suivre Olivier de La Bouillerie pendant une dizaine d’années.
A. G. : Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce mode de chasse ?
Débuché : Le travail des chiens, le défi. Les difficultés auxquelles nous sommes confrontés pour prendre un chevreuil sont nombreuses. J’aime aussi beaucoup la trompe que je pratique depuis mon adolescence.
Laverdure : Je suis avant tout un grand passionné de chiens, de génétique. Ce qui me fait le plus vibrer avant l’acte de chasse en lui-même, c’est le travail du chien, voir les chiots de lignées sélectionnés devenir de bons chiens de vènerie. Je suis, je le pense, plus éleveur que chasseur.
Vol au Vent : J’ai été séduit tout d’abord par la chasse puis, les années passant, par le travail du chien et le contact avec le cheval.
La Feuille : J’ai participé à beaucoup de chasses à tir, au déterrage, et j’ai été plus particulièrement attiré par le chien et son travail !
A. G. : À quel moment et pourquoi avez-vous décidé d’en faire votre métier ?
Débuché : À 18 ans, après avoir suivi un apprentissage et obtenu un BEP de menuiserie, je suis parti dans une usine dans laquelle j’effectuais du montage de meuble. Travailler entre quatre murs, ce n’était pas vraiment mon truc, j’avais envie de grand air ; c’était il y a 30 ans. Cette année-là, Robert Rochais confia le fouet du Rallye Chouan à Henry Séchet qui devint alors maître d’équipage et qui me recruta au début comme valet de chiens, puis comme piqueur.
Laverdure : Depuis tout petit, je savais que je voulais être au contact des chiens. J’ai fait des études car mes parents le souhaitaient et je me suis donc naturellement orienté vers la filière forestière où j’ai passé un Bac Scientifique Biologie-Écologie puis un BTS Gestion Forestière. Les épreuves de BTS se terminant fin juin, le 1er juillet, à 20 ans, j’avais mon premier contrat de piqueur dans un équipage sans que ma famille soit au courant.
Vol au Vent : J’ai décidé à la fin de mes études, l’opportunité s’en présentant, d’en faire mon métier au grand désespoir de mes parents ; à la fin de mes études, je n’ai pas passé mon examen, car la place était à prendre à l’équipage mi-juin.
La Feuille : À l’âge de travailler, j’ai, comme mon frère, été engagé dans l’armée, et par chance, au même moment, une place s’est libérée dans un équipage plus au sud de la Touraine. Encouragé par mes parents, je me suis porté volontaire pour rentrer dans l’Équipage de Neubourg à Hervé de Boisset et découvrir le métier.
J’ai postulé pour faire le métier qu’au fond de moi, j’avais toujours eu envie de faire, comme Olivier Carré chez Champchevrier ou la Branche au Rallie Touraine. J’adore ce métier parce que le plaisir est dans le travail. Le matin lorsque je sors, je ne vais pas au travail, je vais voir mes chiens !
A. G. : Vous vivez chaque journée de l’année auprès de la meute ; qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans la relation privilégiée que vous entretenez avec les chiens ?
Débuché : Les nourrir chaque jour, leur apporter le meilleur confort et les meilleurs soins possibles au plan sanitaire. Mais ce qui me procure les plus grandes sensations, c’est de les voir chasser. Pouvoir les observer, les entendre crier, les voir progresser.
Laverdure : C’est difficile pour moi d’expliquer la relation avec mes chiens, c’est un ressenti propre à chacun. Je sais que je ne pourrais pas vivre sans eux, ils sont tous différents, chacun a sa personnalité, sa susceptibilité. Quand on me demande combien j’ai de chiens au chenil, je réponds toujours : « Les chiens ce n’est pas un nombre ; si vous voulez le nom de chaque chien, je peux vous le dire et vous comptez ».
Vol au Vent : Ce qui m’intéresse, avec la meute, c’est son bien-être, que tout soit dans le calme au chenil et, à la chasse, que l’union fasse la force.
La Feuille : Pour moi, les meilleurs moments sont les matins de chasse, lorsque je fais le chenil, ou que je nourris les chiens. Ce sont des moments de complicité avec mes chiens que je n’ai pas à la chasse. Je préfère être seul le matin au chenil. C’est un moment précieux que j’ai du mal à partager. Pendant ces moments, je peux percevoir leur regard et la tendresse qu’ils me manifestent.
L’élevage est aussi une période magique. Ce sont des semaines très stressantes pour moi. Il faut toujours être sur le qui-vive, en surveillance. Je n’ai pas le droit à l’erreur. Si on loupe l’élevage, on loupe une saison. Nous choisissons les reproducteurs un an à l’avance avec des qualités de chasse, d’élégance et une bonne capacité de récupération.
A. G. : L’équipage qui vous emploie chasse le chevreuil ; qu’est-ce qui vous intéresse plus particulièrement dans la chasse de cet animal ?
Débuché : Le chevreuil est un animal difficile, d’une résistance incroyable, doté d’un instinct de survie que l’on ne peut imaginer. Au chevreuil, ce n’est jamais gagné, la moindre erreur des chiens ou des hommes peut être fatale.
Laverdure : J’ai chassé un peu tous les animaux, sauf le renard que je ne connais pas. Je trouve que la vènerie du chevreuil et celle du lièvre (dont je suis maître d’équipage avec des Beagles d’ailleurs) sont les plus techniques et subtiles. Au chevreuil, je mets entre 20 et 25 chiens, pas plus, c’est souvent les mêmes qui sortent deux fois la semaine, on les connaît par cœur, on est proche d’eux. Je dis souvent, je préfère en mettre 20 bons seulement que 20 bons et 10 moyens, c’est plus facile à gérer et il y a moins d’erreurs. Le chevreuil est un animal rusé, avec lequel il faut en permanence se torturer l’esprit. Le change est difficile à gérer avec des populations d’animaux qui explosent.
Une anecdote : on chasse un gros brocard, une chasse rondement menée pendant 3 heures sans défaut ; notre brocard est hallali courant à vue des chiens dans une futaie claire, et soudain, volatilisé, impossible de le retrouver malgré nos efforts, « rosalie ». C’est ingrat pour la meute et les hommes qui s’y sont donnés toute la journée, mais c’est la vènerie du chevreuil !
Vol au Vent : Ce qui m’attire dans la vènerie du chevreuil, c’est que je trouve un mixte entre la technicité de la vènerie du lièvre et le chassé de celle du cerf.
La Feuille : J’ai beaucoup chassé le lièvre dans mes premières années. La chasse au chevreuil se rapproche beaucoup de celle du lièvre. C’est un animal à la fois magnifique et très difficile à chasser. Ses ruses m’étonnent toujours.
Dans cette chasse, le travail du chien est passionnant. Il faut en permanence tenter de savoir ce que l’animal aurait pu faire et s’efforcer d’anticiper. Il faut réfléchir avant de tomber en défaut en fait.
A. G. : L’exercice de la chasse à courre au XXIe siècle conduit la Société de Vènerie à donner des recommandations et des consignes aux équipages. Comment recevez-vous ces recommandations ? Comment influent-elles sur votre manière de chasser ?
Débuché : C’est vrai, nous ne pratiquons plus la vènerie comme autrefois. Désormais, il faut faire preuve de prudence en toutes circonstances. Lors de l’hallali mais aussi durant la chasse, la traversée des routes, les droits de suite, les débuchés : tout devient « sensible ». Il faut parfois savoir renoncer et éviter de prendre le moindre risque, car, avec les réseaux
sociaux, le moindre incident, y compris en pleine campagne, peut se retrouver au journal télévisé le soir même. Mon maître d’équipage est très attaché au respect de toutes ces consignes et recommandations, mais, malgré les plus grandes précautions, nous ne sommes jamais à l’abri d’un incident.
Laverdure : Nous sommes encore assez privilégiés dans nos forêts, car nous avons les droits de suite en extérieur ; les anti-chasses sont bien venus quelques fois, mais ils ne comprennent pas trop la vènerie du chevreuil. En ce qui concerne les habitations, on a une zone un peu à risque au centre de la forêt dont les cavaliers ne s’approchent pas. Pour l’instant tout se passe bien, on passe en essayant d’être discret, poli et courtois. Il arrive que l’on prenne des chevreuils non loin de ces habitations, je reprends la meute et on se retire rapidement en forêt sans sonner.
Vol au Vent : Pour ce qui est de la vènerie au XXIe siècle, nous sommes obligés de s’adapter au nouvel environnement qui entoure et influe sur nos territoires. Nous ne pouvons plus laisser chasser nos chiens comme il y a encore quelques années. Nos chiens sont obligés d’être de vrais chiens d’ordre, chasseurs mais toujours sous la main, prêts à être repris à l’approche d’une ville, d’une route.
La Feuille : Cette année, nous avons dû arrêter 4 ou 5 fois. C’est stressant pour nous, mais l’urbanisation nous contraint à le faire. C’est très frustrant d’arrêter, pourtant il faut le faire. On arrive à s’en remettre mais les chiens ne comprennent pas. Arrêter, c’est dévastateur pour une meute qui est calée.
A. G. : Hormis l’entretien de la meute et votre participation à la chasse, quelles autres responsabilités vous incombent en qualité d’homme de vènerie ? Vous semblent-elles importantes ?
Débuché : J’essaie d’entretenir de bonnes relations avec tous les riverains des forêts dans lesquelles nous chassons, tout notre environnement mais aussi avec les supermarchés et les usines qui nous fournissent la nourriture pour les chiens. Compte tenu du nombre de chiens, notre chenil est soumis à « enregistrement » à la DDTM, ce qui exige un vrai suivi des procédures administratives.
Laverdure : J’ai la chance d’être dans un équipage qu’on pourrait dire familial, constitué en association, où chacun participe à sa manière avec un maître d’équipage très présent pour le bon déroulement de la vie de l’équipage. Hors l’entretien du chenil, l’élevage et l’action de chasse, je fais, avec l’accord de l’ONF, un peu de broyage en forêt dans les cloisonnements sylvicoles et d’ouverture d’allées pour le confort des laisser-courre et faciliter l’accès aux jeunes chiens.
Vol au Vent : Les autres responsabilités que nous pouvons avoir sont le relationnel avec l’environnement autour de nos territoires, comme les droits de suite qui sont très importants pour les laisser-courre de l’équipage dans nos petits territoires.
La Feuille : En plus des chiens, je m’occupe de trois chevaux. Je m’occupe aussi des relations avec les riverains. Il faut aller voir les gens, discuter, faire découvrir ce que l’on fait et comment on le fait. C’est aussi connaître son territoire. J’aime partir à la découverte de la forêt et de ses animaux, avant la saison, à pied, à vélo ou à cheval. Le mieux est d’y aller à cheval parce que les animaux ne voient pas l’humain en premier.
A. G. : Dans la société contemporaine, la vènerie est contestée par l’opinion, parfois jusqu’au cœur de nos forêts. Quelles vous semblent être les conditions de sa persistance ?
Débuché : Tout d’abord continuer à rendre la vènerie populaire et accessible aux jeunes, respecter les consignes et les recommandations, les faire respecter par les boutons et les suiveurs. Pour résumer, être respectueux de notre environnement, tout en respectant les traditions de la vènerie.
Laverdure : Le président de la Fédération Nationale des Chasseurs dit : « on ne doit plus vivre caché » et « la chasse, on ne doit pas la défendre, on doit l’expliquer ». Je pense qu’il a raison. Ça va être dur de faire changer l’opinion de la société actuelle « anti-tout » qui vit loin de la nature. Mais il est important de nous ancrer dans le paysage, montrer qu’on est là, qu’on existe, essayer d’attirer les personnes les plus ouvertes d’esprit. Et puis, je fais confiance à la Société de Vènerie qui a bien compris le tournant de notre existence et qui est de plus en plus présente sur le front.
Vol au Vent : À mon avis, il faut que nous soyons irréprochables aussi bien sur notre tenue, que vis-à-vis de nos animaux. Il faut que notre manière de chasser s’adapte même si c’est déstabilisant et pas du tout évident.
La Feuille : Je formule le vœu qu’il n’y ait pas d’incartade et que chacun respecte les directives de la Société de Vènerie. Il faut aussi expliquer la vènerie à ceux qui la critiquent et ne connaissent que ce qu’en disent les réseaux sociaux. Pour moi, nous sommes dans la beauté et la légalité, et il faut le dire.
A. G. : Quelles sont les qualités principales qui caractérisent un bon piqueur ?
Les réponses de nos interviewés se recoupent ; en voici donc la synthèse : Courage et passion, l’un sans l’autre ne suffit pas ; bon éleveur ; bon cavalier ; bon sonneur ; ponctualité ; bonne présentation ; respect, courtoisie et diplomatie envers les boutons, les propriétaires et les riverains ; bonne tenue du chenil ; soin et affection pour les chiens et les chevaux. Le travail au quotidien avec les chiens est un atout primordial pour la réussite à la chasse.
Et pour finir, trois qualités pour réussir : la confiance envers ses chiens ; l’écoute de ses chiens d’abord et ensuite des hommes ; la connaissance du territoire.