Entre pro et antichasse à courre, huit ans de face-à-face systématique

Le Parisien – dim 30 mars 2025

60|Compiègne Depuis l’affaire du cerf abattu dans un jardin, en 2017, la fronde s’est étendue, mobilisant des personnalités comme Yann Arthus-Bertrand ou, ce vendredi encore, Brigitte Bardot. Reportage.

« Allez, en meute ! » Il est le « piqueux », celui chargé de mener la meute et de diriger la chasse en claquant son fouet en l’air. Devant lui, une quarantaine de chiens écoutent et se regroupent. « Ils sont impatients », remarque un suiveur. Pour le dernier samedi de vénerie de la saison, la foule s’est massée pour accompagner l’équipage de la Futaie des amis, en forêt de Compiègne (Oise). « Comme quoi, la chasse à courre ça plaît », s’émerveille un valet de limier devant le nombre de véhicules et de vélos garés au pied de la maison forestière du Hourvari, lieu du rendez-vous et du départ de la traque.

Soudain, les aboiements qui s’échappent de la meute se retrouvent en concurrence avec les trompes des sonneurs. Le piqueux s’époumone et sonne le départ. Les suiveurs, en voiture ou à vélo, sont une centaine. Ils comptent bien profiter de ces derniers instants : il faudra patienter six mois avant le retour de la prochaine saison de chasse à courre.

« Ça va être dur pour moi, je ne vais plus voir personne et être enfermée à la maison », s’attriste une habituée. Tout juste partie, l’impressionnante colonne est déjà suivie de près… par une dizaine de militants du collectif AVA, pour Abolissons la vénerie aujourd’hui. Les opposants sont disséminés dans plusieurs véhicules, pieds au plancher.

Incidents, violences et intimidations

Controversée, la chasse à courre fait régulièrement parler d’elle. Ce vendredi encore, Brigitte Bardot dénonçait dans un entretien sur BFMTV « la torture sadique » que représente à ses yeux cette pratique ancienne. En cela, elle peut compter sur le soutien de Yann Arthus-Bertrand, « admiratif » de son combat, lui-même en lutte depuis l’intrusion, en décembre dernier, de six chiens d’un équipage local dans sa propriété privée de Rambouillet (Yvelines). « J’aime sa passion, sa radicalité », réagit le photographe auprès du « Parisien ».

Mais c’est dans l’Oise qu’a débuté l’actuel mouvement de résistance. En 2017, la mort d’un cerf filmée dans le jardin d’une habitation, sous le regard de dizaines d’habitants, choquait un peu partout en France. Saisissant la balle au bond, des opposants créent le collectif AVA, qui a fait de nombreux émules en France. C’est toutefois en forêt de Compiègne que la confrontation a été – et est toujours – la plus forte.

« Au début, des gens venaient de partout, se souvient Stanislas Broniszewski, porte-parole et fondateur d’AVA. À certaines chasses, on était 80 personnes, 200 une fois en 2018. Mais beaucoup n’étaient pas formés, étaient trop extrêmes. On a fermé la porte. » Néanmoins, depuis huit ans, pas une saison de chasse ne se déroule sans intervention des gendarmes, plaintes, diverses violences, intimidations et incidents.

Les opposants n’ont « raté aucune chasse »

De quoi démotiver les chasseurs ? « Certains ont arrêté, ils en avaient marre de se faire harceler, confirme Alain Drach, maître d’équipage de la Futaie des amis, les veneurs compiégnois. Mais on a pu faire découvrir notre passion à d’autres, qui nous ont rejoints. Aujourd’hui, les AVA semblent moins nombreux. On est beaucoup plus sereins qu’il y a trois ou quatre ans. »

S’ils sont moins, c’est qu’ils sont « mieux structurés », insiste Stanislas Broniszewski. « On est deux ou trois les mercredis, 10 ou 15 les samedis. On n’a raté aucune chasse et sauvé des animaux. Cette saison, 14 cerfs ont été tués. Certaines fois, avant qu’on arrive, ça pouvait monter à 30. Désormais, nous fonctionnons avec des habitants, ce sont eux qui nous renseignent. Ils sont notre boussole et c’est pour ça que nous tenons sur le long terme. »

GoPro et talkie-walkie

Ils se savent en terrain hostiles. À chaque carrefour où les suiveurs s’arrêtent pour observer les passages de la meute suivie de l’équipage, les militants essuient les regards de travers. Leur présence crispe les esprits. « Ils en ont de l’essence à dépenser », s’agace un homme en suivant le véhicule du regard. À leur descente, les commentaires fusent à l’encontre des militants. « Vaut mieux pas parler à ces gens », s’écrie une suiveuse à cran. « Là, c’est relax, observe Stanislas Broniszewski. Ça se tend quand ils sont sur le point de tuer un animal. » Après huit ans de lutte, d’invectives et parfois d’extrêmes tensions, le collectif s’est doté d’une organisation quasi militaire : talkie-walkie pour pallier l’absence de réseau et caméras GoPro pour « filmer la chasse » ou « désamorcer les tensions. »

Les militants antichasse traquent l’équipage dans les moindres recoins de l’immensité de la forêt. Carte papier en main, Colette, quatre ans de militantisme, en est à sa 47 e chasse de l’année. Elle fustige une pratique d’un « autre monde » quand ses défenseurs défendent « la subtilité » d’un art à la fois « populaire » et « familial ».

Accommodés bien malgré eux d’une présence devenue systématique d’AVA, les pro n’en restent pas moins exaspérés. « Ils font entrave à la chasse, on ne s’est pas du tout accommodés à leur présence », s’exclame une mère de famille, son fils dans les bras. Au passage de l’un des véhicules hostiles, un suiveur s’emporte : « On ne peut pas accepter que des gens soient contre notre plaisir. » Il montre la foule amassée autour de lui et la compare aux quatre militants stationnés. « Tous les milieux se côtoient et tout le monde est content. Ils croient qu’on est encore au temps des rois », raille-t-il.

« Il faut qu’on reste là jusqu’à la dernière seconde pour être sûrs qu’ils ne fassent pas de dinguerie en ville, poursuit Stanislas Broniszewski, face à l’équipage à l’arrêt. Il faut montrer les saloperies quand ils les flinguent, les noient. » Un suiveur à vélo le coupe avec véhémence. « C’est quoi, ces conneries que tu racontes ? Toi, tu vas m’énerver, ne me cherche pas ! » Les deux camps semblent condamnés à se faire face, sans se comprendre. Un suiveur à vélo regrette la passion suscitée par la chasse. « Il faut que la chasse reste en forêt et surtout pas dans les villages, confie-t-il. Il faut que de chaque côté il y ait du respect mutuel. »

À l’issue de la chasse de ce samedi, aucun incident n’a été déploré et l’équipage n’a pas sonné l’hallali. Dans le jargon de la chasse à courre, on dit que le cerf « s’est bien défendu » et « n’a pas été pris ». Dans celui d’AVA, un cervidé n’a pas été abattu et a été sauvé.

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