Parole de veneur : Thomas Galichon

Que peuvent bien avoir en commun Yann Arthus-Bertrand, Véronique Sanson, Claude Lelouch ou encore l’ex-député et mathématicien Cédric Villani ? Le 8 janvier 2023, avec une cinquantaine de personnalités, ils signaient dans Le Monde, une tribune sobrement intitulée « La chasse à courre sème le chaos et la terreur, nous demandons son abolition ».

Vous l’aurez compris – c’est un euphémisme – la vénerie souffre de mauvaise réputation. “Les braves gens n’aiment pas que, l’on suive une autre route qu’eux”. En bref, un loisir élitiste, cruel et archaïque réservé aux plus fortunés. N’en jetez plus ! En cause, un héritage aristocratique, la chasse à courre ayant longtemps été associée à la noblesse, à ses privilèges. Autre temps, autres moeurs. Les échecs – François Ier en était passionné – le théâtre ou le libertinage n’ont – eux – jamais subi le poids du passé. En 2024, vaudrait-il donc mieux être volage que veneur ?

L’illusion du drame

Pourquoi la chasse à courre reste-t-elle une cible si facile ? En cause, le diktat des images auxquelles se greffent de solides idées préconçues. La vénerie – à l’heure du like, tweet and co – n’est plus abordée que par l’angle du drama, mettant en scène incidents et éclats de voix. Combien d’entre nous ont le coeur qui se serre au décollage d’un avion, alors que le risque de mourir en voiture est cent fois plus élevé ? Ce décalage entre perception et réalité trouve un écho direct dans la manière dont la vénerie est aujourd’hui perçue.

Ces images, largement partagées et commentées, construisent une représentation déformée de la pratique. À une époque où l’information circule à une vitesse folle, les récits nuancés ont souvent du mal à rivaliser avec les images chocs, et la chasse en est un exemple flagrant. L’opinion publique, influencée par l’émotion brute, condamne une tradition complexe et nuancée, bien plus subtile que ce que le sensationnalisme viral pourrait le laisser penser.

Qui pour conter le reste, franchir le fossé du réel ? Dire l’amour et le soin inconditionnel porté aux chiens et chevaux, la connaissance intime des territoires, le respect d’un biotope, de ses rythmes et de ses équilibres. Qui pour parler de ces femmes et de ces hommes, de ces liens tissés qui transcendent les horizons sociaux et les générations ? Une récente enquête menée par le CSA pour la Société de Vénerie apporte un éclairage précieux sur ces questions.

Veneur qui es-tu ?

A en croire cette étude, le profil type du veneur en 2023 est loin de l’image souvent projetée. Les résultats montrent que 28 % des membres d’équipage sont des femmes, un chiffre particulièrement élevé comparé aux 3 % de femmes chez les chasseurs en général. Le rapport révèle également que 53 % des veneurs résident dans des communes de moins de 2 000 habitants.

Autrement dit, la majorité des chasseurs à courre ne sont pas en quête d’exotisme rural mais vivent au coeur des territoires qu’ils pratiquent, profondément ancrés dans la vie de ceux-là. Cette proximité leur permet d’agir en véritables gestionnaires des espaces naturels, contribuant à la régulation – modeste – des populations animales et à la préservation des habitats. Contrairement à d’autres formes de gestion de la faune, souvent plus invasives, la vénerie s’inscrit dans un rapport respectueux favorisant un équilibre écologique durable.

Dans une époque où les générations semblent parfois avoir du mal à se comprendre, la vénerie fait également figure d’exception. L’enquête montre que 41 % des membres d’équipage ont moins de 50 ans, avec une pyramide des âges plutôt équilibrée. Cette diversité générationnelle va de pair avec une approche plus nuancée de la pratique. Contrairement à l’idée reçue, 62 % des veneurs dépensent moins de 1 000 € par an, un budget bien plus modeste qu’on pourrait l’imaginer pour un loisir souvent perçu comme élitiste. Mais au-delà des chiffres et des clichés, la vénerie soulève une question plus profonde, celle de notre rapport actuel à l’animal. Ce débat touche à la notion de naturalité, qui implique de respecter les instincts et les comportements innés des espèces, sans altérer leurs capacités physiques et sensorielles. L’anthropomorphisme nous fait voir les animaux à travers notre prisme humain, nos émotions, alors que la nature les guide selon leurs propres instincts.

L’instinct et la laisse

À une époque où l’animal est perçu avant tout comme un être domestique, compagnon de vie ou sujet à protéger, la vénerie se heurte à une incompréhension. Cette vision moderne de l’animal, bien qu’il soit évidemment sensible, tend à vouloir le protéger de tout risque, sans distinction entre les environnements dans lesquels il vit. Cela crée une opposition entre une société qui s’éloigne des réalités du vivant et une pratique qui repose sur une interaction naturelle et équilibrée.

Loin d’être une pratique cruelle, la vénerie respecte les mécanismes propres à la vie sauvage : la traque, la fuite et l’instinct de survie. Contrairement à l’idée reçue d’une poursuite impitoyable, l’animal conserve, plus que dans nulle autre chasse, ses chances de s’échapper, car il évolue dans son propre environnement, en pleine possession de ses capacités naturelles. Cet aspect de la vénerie, qui repose sur le respect des interactions entre les espèces et leur habitat, se heurte souvent à une perception moderne qui ne saisit pas pleinement le rôle crucial et la place de l’animal dans la biodiversité.

Cette déconnexion entre l’homme et l’animal sauvage nous amène à une réflexion plus générale : que restera-t-il de notre lien à l’animal lorsque celui-ci sera réduit à des êtres domestiqués, privés de leur animalité ? Francis Wolff, philosophe et professeur émérite à l’École normale supérieure, livre sa réponse : “En interdisant ces pratiques, l’humanité n’a pas à y gagner grand-chose et l’animalité peut y perdre énormément. Que restera-t-il pour peupler les rêves de l’Homme de son Autre qui est l’animal, parfois redoutable, parfois nuisible, parfois admirable, lorsqu’il ne restera plus que des chats sur des moquettes à qui on aura coupé les ongles et coupé les couilles. Que restera-t-il des rêves de l’humanité ?”.

En définitive, la chasse à courre au 21ème siècle – loin des clichés – interroge notre rapport contemporain à l’animal et à la nature. La question demeure : que deviendront nos relations avec l’animal sauvage si elles sont limitées à une vision domestiquée, édulcorée de la faune ? À travers la réflexion de Francis Wolff, il nous est rappelé que la richesse de notre imaginaire, de notre humanité même, est indissociable de cet « Autre » qu’est l’animal, avec ses forces, ses faiblesses, ses mystères. La vénerie, en renouant avec cette réalité naturelle, ne cherche qu’à maintenir ce lien, fragile mais essentiel, entre l’homme et la nature.

Thomas Galichon

Avec l’aimable autorisation de la Revue Nationale de la Chasse.

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