Tel maître d’équipage fut un jour interpelé en plein laisser-courre par un mauvais coucheur qui lui demanda s’il allait encore longtemps « traquer » son animal ; il lui répondit : « je ne le traque pas ; je le chasse. » Les mots ont un sens. Employer l’un pour l’autre peut procéder de la méconnaissance, de l’effet de style, ou de la volonté de nuire ; en aucun cas, cela ne contribue à l’expression ou à la compréhension de la vérité.
Qui veut discréditer la chasse qualifie les chasseurs de « barbares » ou de « tueurs. » Le barbare est un arriéré, scorie d’un passé à éliminer ; il est incompatible avec les valeurs de la société contemporaine. Le tueur est, par définition, dans le camp du mal : tuer, c’est supprimer la vie, et les temps modernes entretiennent une grande équivoque sur ce thème, confondant la vie humaine et la vie animale dans une même sacralisation : ça s’appelle l’antispécisme. Les antispécistes utilisent des mots se rapportant aux humains pour qualifier les relations des chasseurs et de leur gibier. Ils identifient les « mamans » et les « bébés » ; des animaux « apeurés et épuisés » qui se « réfugient » pour échapper à leurs « assassins ». Toute cette phraséologie est bien éloignée de la réalité de la faune sauvage et des rapports que les chasseurs entretiennent avec elle ; les veneurs en savent quelque chose.
La vie humaine est sacrée, au sens où l’entend le philosophe Régis Debray : « Le sacré : ce qui légitime le sacrifice et interdit le sacrilège. » La vie des animaux, elle, n’est pas sacrée : le sacrifice des animaux appartient à des époques révolues, et il n’y a rien de sacrilège à ôter la vie à un animal, ce qui ne signifie pas que tout est permis en la matière.
La vie de l’homme est intimement liée au fait qu’il a tué des animaux et continue de les tuer pour se nourrir d’abord et pour s’assurer la place qu’il souhaite occuper à la surface de la Terre ensuite. C’est la raison pour laquelle le précepte « tu ne tueras point » s’applique aux seuls êtres humains ; et l’on sait hélas combien ce précepte a été enfreint et continue de l’être.
Présenter un veneur comme un traqueur ou un tueur d’animaux est un bon moyen de le désigner à la vindicte populaire ; nos opposants ne s’en privent pas. Si l’on explique que le veneur « traque l’animal épuisé », viennent à l’esprit des images de harcèlement, cruauté, acharnement, sadisme. Mais la vènerie n’est pas une traque ; c’est une quête et c’est très différent. Une quête, c’est d’abord une interrogation, le mystère du rembuché, l’inconnu des ruses de l’animal chassé, l’aléa de sa voie, la confrontation physique entre la meute des chiens et l’animal sauvage ; une quête incertaine et patiente. Une quête, c’est une recherche, tout autant spirituelle que physique.
On va m’opposer que je chipote, car, de fait, l’animal chassé est poursuivi par les chiens avant d’être tué (une fois sur quatre, rappelons-le toujours, car les trois autres fois, sa ruse et sa résistance lui permettent d’échapper à ses prédateurs). Mais poursuivre n’est pas traquer. Si la prise et donc la mort de l’animal sont la conclusion souhaitée d’une journée de vènerie, c’est la poursuite qui passionne le veneur. Pour paraphraser Sacha Guitry, qui disait que « le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier » on pourrait affirmer que le meilleur moment de la chasse, c’est le moment du laisser-courre.
Ce parallèle entre l’amour et la chasse n’est d’ailleurs pas dénué de signification. Mais c’est là une autre histoire…
Bonne saison 2023-2024 à vous tous !