Aziliz Le Corre Du Bambi larmoyant de Walt Disney à l’hilarant sketch des Inconnus, les références populaires ont participé à forger la mauvaise réputation des chasseurs.
Ils seraient des prédateurs malfaisants, des hommes assoiffés de sang, des ivrognes patentés, évoluant en vase clos…
Plébiscitée jusqu’au milieu du XXe siècle, la chasse est désormais accusée de bien des maux. Pour répondre à ces attaques, Vincent Piednoir et Humbert Rambaud publient L’Ouverture de la chasse. Une philosophie, une culture (Presses de la Cité). Loin de chercher à justifier la chasse pour son intérêt écologique, pour sa capacité à réguler la surpopulation animale, à protéger les cultures ou la biodiversité, à procurer de la viande saine élevée en dehors de la zootechnie intensive – arguments réfutables et parfois caducs – les rédacteurs en chef de Jours de chasse défendent un art de vivre. « Je chasse pour chasser », clament-ils, refusant leur condition de damnés des temps modernes.
Mais qu’est-ce que la chasse si elle n’est pas vantée pour son utilité ? Elle est d’abord un apprentissage. N’est pas chasseur qui veut ! Le nemrod doit être attentif à son environnement, observer la météo, repérer les habitudes des animaux pour mieux appréhender leurs réactions… C’est une poursuite du mystère qu’abrite la nature, racontent Piednoir et Rambaud.
Elle est aussi affaire d’esthétique et d’émotion, expliquent-ils. Dans cet ouvrage, c’est d’ailleurs une langue ancestrale qu’emploient les deux journalistes. Tout un vocabulaire suranné et parfois oublié, qui constitue aussi la richesse de cette pratique millénaire : limier, brisées, hallali, meute, à cor et à cri… Un jargon qui a nourri la littérature, comme les tableaux de chasse ont alimenté l’histoire picturale.
Les deux essayistes décrivent encore la chasse à courre, la plus attaquée de nos jours, comme un « opéra sauvage » – cette forme de chasse se pratique en dressant et en conduisant une meute de chiens suivie par des cavaliers. Aujourd’hui, près de quarante races canines sont destinées à la vénerie et à épauler les chasseurs à tir, soit près de 30 000 chiens. Mais les auteurs tirent la sonnette d’alarme : la fin de la chasse à courre proclamerait l’abandon des sélections, la fermeture des élevages et, à terme, la disparition des chiens courants. Chasser sans son chien ne serait plus qu’un simple exercice, mais sonnerait la fin de la danse de la meute élancée vers sa proie, du concert des récris canins dans les bois et les futaies.
À lire les deux essayistes, l’on comprend que la cynégétique est avant tout « une sublimation de l’instinct » : celui des chiens dressés comme celui des hommes attentifs et appliqués dans l’effort. Piednoir et Rambaud vont jusqu’à oser cette analogie : « On ne fait pas l’amour comme on féconde ou insémine, de même l’on ne chasse pas avec la seule intention, ou l’obsession, de tuer. » Faire l’amour, comme chasser, est « un plaisir éprouvé dans la durée, parce que pensé, préparé… » Une école de persévérance et de retenue. (Prenez note, messieurs !)
Contrairement à ce qu’affirment ses détracteurs, la chasse n’excite pas les appétits sauvages. Elle sublime le cycle de la vie, qui n’existe pas sans son achèvement dans la mort. Cet essai est un éloge de la poésie, de la communion de l’homme avec la nature : une ode à la civilisation.
L’OUVERTURE DE LA CHASSE. UNE PHILOSOPHIE, UNE CULTURE VINCENT PIEDNOIR ET HUMBERT RAMBAUD, PRESSES DE LA CITÉ, 320 PAGES, 22 EUROS